Une journée passée à réfléchir, à approfondir mes sensations dans la paix car j'étais empli d'informations, d'images et j'avais besoin de tranquillité.
J'ai aussi beaucoup apprécié cette possibilité d'analyse qui m'a été donnée : en fait je n'ai toujours pas compris pourquoi cela se passait ainsi alors que dès le début je me suis présenté comme un simple français motard et proche d'un animisme athée.
Mais je n'ai rien jugé, acceptant ce que l'on avait la gentillesse de me donner, admirant même cette liberté et cette beauté du Don.
On ne m'a rien demandé, ni argent, ni participation ni un engagement quelconque.
En fin de cette journée, je repartais vers la frontière et bien entendu la magnifique Vosyféya avait encore tout arrangé pour l'heure, le bateau. Une fois de plus elle m'accompagna vers un autre lieu d'embarquement moins "touristique" et assez caché dans l'île - car le nouvel horaire de départ n'était pas dans les dépliants.
Imaginez deux êtres qui ne se comprennent pas qui se séparent et qui ont vécu des instants exceptionnels...quelle étrange situation, cette femme seule et libre d'agir à sa guise, responsable de je ne sais quoi à Valaam, évidente haute personnalité, jeune et très cultivée, qui me ramène ce biker un peu rude...
Je me posais d'autres questions encore : par exemple que devenait mon side, complètement perdu sur ce parking ?
Avant de nous quitter - mais nous étions déjà au point d'embarquement, je dis à Vosyféya que j'aimerais ramener à ma Mère quelque chose de rare et de précieux.
Aussitôt elle téléphone et dans les deux minutes la petite voiture arrive.
Plein pot elle m'amène dans un lieu dans lequel une pièce regorgeait d'icônes. Aucun touriste, j'étais seul avec elle.
Elle me montre les icônes d'un geste de bras, je pouvais choisir celui que je voulais en échange d'une somme d'argent ridicule par rapport au travail effectué - icône numérotée, peinte à la main par un moine pendant plus d'une année.
Je choisis une icône particulière pour Maman qui est une grande résistante et là, toujours dans les mystères de ce qui se déroule ici, la "sœur" sort une clef, ouvre un tiroir et sort un tampon : elle me signe une autorisation de passage en douane pour une œuvre d'art...
Retour canon au bateau.
Vosyféya me tient les mains et me fixe dans les yeux. On ne se comprend pas mais nos regards crient.
Je remercie, elle aussi, un nombre de fois qui dépasse l'entendement.
Elle ne cessait de dire d'une voix tremblante : "Вскоре часть из вас все еще здесь ..." - A bientôt, une partie de vous reste ici.
La trompe du bateau sonne, je lui fais un baise-main et j'ai cru qu'elle m'écrasait les phalanges.
Je ne me retourne pas, le bateau file et je l'aperçois sur le quai.
Peut-être était-ce tout ce que j'avais vu durant des heures, ces moments d'une intensité rare, mais je compris un peu plus ce qu'était une icône car, sur le quai je vis cette image entourer la grande nonne comme un halo :

Je compris que l’icône ne représente pas le monde qui nous entoure. La transfiguration en est la clé en particulier dans le visage des personnages. La lumière est signifiée de deux manières : celle matérielle ou éclairage des objets mais surtout celle intérieure en chacun des personnages. Cette dernière est figurée par la carnation (couleur de fond pour la chair) pure et assez claire. Le contraste entre ces deux lumières est mis en relief sur l’icône de crucifixion : par exemple la représentation de saint Jean et Marie dégagent cette lumière intérieure alors que le Christ, mort à cet instant sur la croix, à la carnation plus sombre et éteinte, presque vert plombé.
D'autre part, le monde est représenté en perspective inversée afin que le contemplateur devienne le point convergeant de l’icône pour établir ainsi un lien intime avec elle. La perspective inversée prend le spectateur comme point de fuite. L'espace représenté sur l'icône s'affranchit de notre vision terrestre en trois dimensions.
Tu l'atteindras, cette icône, pensais-je à ce moment en voyant Vosyféya s'éloigner - c'était quasi une "prière". Et voici que l'athée vit des choses qu'il n'a jamais vécu et dont il n'avait pas idée.
Et alors ?
Impressions, influences, hypnose...(?) je m'en moque complètement car cette femme est admirable. Et je ne souhaite pas retomber dans la logique stupide des analyses dans lesquelles la notion de "réalisme" débouche sur celle de la tombe en vogue en ce moment : le sempiternel "il ne faut pas rêver" qui m'emmerde et avec lequel je ne suis plus du tout d'accord.
"Il ne faut pas rêver" - sous entendu "sois réaliste", c'est-à-dire soit soumis à la logique de l'analyse des choses dénombrables, prouvables mais prouvables pour le plus grand dénominateur commun, et donc réduite à un niveau affreux d'inexistence, comme une sorte de plat culinaire que plusieurs races devraient apprécier mais qu'aucune n'aime...
"Fô pas rêver" est le flingueur de la transcendance, de la différence, du droit d'exister en tant qu'individu unique et libre.
OUI, JE REVE, ET ALORS ?
La bateau arrive à quai - je ferai passer un Gecko ou Zorgol, s'ils le veulent bien, un passage de film pris avec mon malheureux appareil photo, afin de donner une idée du bateau volant...
A terre je retrouve mon "Jo le taxi" toujours aussi affable. Il me ramène au parking et je vois Babouchka qui m'attend très sagement, le gardien dans sa guérite dans la même position, avec son flingue derrière le bureau...p'tin le mec s'est couché j'espère ?...
J'ai l'impression qu'une année s'est déroulée sans me le dire.
Une demi-heure de taxi = 100 roubles (1,5€...) pffff c'est fou.
Aussitôt je sors les clefs, fixe mon sac sur le side et sans réfléchir je me dirige vers la frontière passée deux jours avant.
Valaam, un lieu dans lequel il existe une machine à remonter le temps : la transcendance et la transfiguration.
La route en Russie file, j'interdis à mon cerveau de penser.
Pour m'y aider, sur le bord de la route, cette femme qui vend des sceaux de myrtilles.
J'en acquiert un...environ deux kilos de baies.
Juste avant la frontière je tombe sur ce monument que je n'avais pas vu à l'aller - ben oui, j'avais reçu de nouvelles lunettes...
Je l'approche, je ne vois pas une statue, mais un soldat qui me parle à l'intérieur...
Une fleur cueillie et déposée en silence. J'avais un peu peur de ces nouvelles impressions, de ces nouvelles perceptions au delà des formes brutes.
J'arrive à la frontière, pas très tranquille...
Changement d'ambiance : un gradé sort en voyant la Ural s'arrêter. 4 étoiles. Très aimablement tout se déroule bien, rapidement et sans problème.
Je lui présente la déclaration de détention d'objet d'art, il me demande de lui montrer l'icône. A peine vu il dit un oui de la tête et me laisse partir sans plus...mais au bout de 5 mètres j'entends "STOP" !
Bon...je stoppe...il me fait signe d'attendre.
Il entre dans un bureau, en ressort en me tendant la deuxième déclaration tamponnée des médailles...elles m'appartiennent nominativement.
Il me sert la main et revoilà le no man's land entre les deux pays, rapidement couvert. Frontière finlandaise ouverte...la route...
Sans m'arrêter je décide de filer plein nord, sans dormir sans manger et pourtant il était tard.
Je ne sais plus quelle heure, j'étais complètement perdu, comme un cosmonaute qui atterrit dans le désert après avoir vécu deux ans dans l'espace.
Durant quelques petits jours j'avais été téléporté dans un univers qui est d'une autre dimension et il me fallait maintenant tenter de reprendre racines au cœur de cette Finlande de paix et de lumière douce. Finlande, la fin de la lande...qui allait bien m'accompagner dans ce retour duquel je ne suis pas complètement revenu...
...