Oui, comme une re-situation de la place d'homme non plus dans le social tel qu'il est, mais dans un ensemble plus global dans lequel l'homme n'est plus le dominant.
En ce sens le chamanisme ancestral saami est très ancien, il émerge de l’origine de l’humanité.
Il propose simplement d'être en interrelation avec toutes les forces de la création sans jugement de hiérarchie. Il permet de s’ancrer à la Terre globale et de retrouver ses racines au sein de cet ensemble.
Il n’est donc pas une religion. C’est un état d’être qui ne peut se limiter à des structures ou des dogmes, mais dont la dimension s'approche par une connaissance de synthèse dans laquelle "soi" est un acteur comme un autre, non central...
Entre ce "soi" coupé du reste qu'il ne connait pas et ce reste précisément, peuvent exister des ponts qu'il suffit d'aller chercher.
...celui qui me hurlait un peu dessus était le mari de la saame-chamane - je ne savais pas qu'il l'était et je ne savais pas non plus l'existence d'une telle femme.
Il parlait un peu anglais et, regardant ma plaque de side, il me dit :
-
you just France ?
- ...oui, et je viens exprès pour voir des rennes...
-
you're stupid. Reindeer, it's everywhere.
- ...oui, mais pas des rennes saamis...
- ...
-
Are you a Christian ?
-... non. Pas du tout. Je le fus mais je ne le suis plus.
-
Ah ? And why ?
- ...parce que je ne voyais pas le vrai ciel.
Il éclata de rire d'une manière ahurissante.
Sur ce son épouse sort de je ne sais où, je ne l'avais pas vue. Elle vient vers moi direct, me prend la main et me regarde dans les yeux durant un long moment, très long moment, plusieurs minutes.
Tout en me regardant et en continuant à me tenir la main, dans un langage extrêmement lent, elle dit à son époux des mots dont j'ai retenu le contenu sonore - tu parles, on n'oublie pas ce genre de rencontre...
- han... vo...i ...mennä... kotiin... ja... sinun... täytyy ... tuoda... sen... metsän (ä = aa)... reunassa........ Kutsumm...e... poro.
C'était la première fois que j'entendais en vrai ce langage des
indiens d'Europe.
Ils se placèrent à la lisière de la forêt et, d'abord elle, commença à chanter une mélodie saame assez aigue. Puis lui poursuivit en cœur en criant fort, dans une position curieuse : debout, légèrement accroupi et les doigts des mains repliées derrière.
J'entendis des bruits de feuillage. Un renne surgit à grande vitesse, dans une aisance époustouflante !
...puis deux, cinq, dix ! Il en sortait de partout durant le temps de leur sorte d'incantation.
Une fois qu'il en eut un certain nombre, l'ancien m'expliquait qu'ils avaient dressé des rennes à venir, et que ces rennes dressés attiraient des rennes sauveges : ainsi se créent les troupeaux.
Ils donnaient donc des gourmandises aux nouveaux rennes très méfiants, qui sursautaient au moindre geste...
Elle ne cessait de me dire :
-
Älä liiku... älä liiku en plaçant la paume de sa main vers moi - je compris qu'il ne fallait pas que je bouge.
Je ne pus m'empêcher de dire qu'ils étaient beaux, de marquer mon étonnement en chantant, le tout accompagné de quelques larmes.
Très touchée, la chamane saame commença à leur parler, à les caresser mais surtout , à retirer les vieux poils des rennes sauvages. Mais elle pouvait les approcher avec son langage, ils étaient comme pétrifiés.
-
Älä pelkää ... et soitat sinua "hyppii" (son mari me dit qu'elle donnait le nom aux rennes sauvages et qu'il fallait les nommer de suite car ils étaient dans un état d'excitation tel qu'ils garderont ce nom toujours).
Une fois qu'elle les avait nommés, elle en appela l'un d'entre eux d'une manière ferme et vive :
havaintoja !...
havaintoja !
L'un d'eux arriva près d'elle de suite en courant. Elle lui parla à l'oreille avec douceur, avec des petits chants mêlé avec les phrases.
Son mari me dit alors que je devais regarder ce renne dans les yeux.
Je pus fixer son regard, il n'avait pas peur. Je lui parlai doucement en français, très lentement, en lui disant qu'il était beau, que j'étais heureux de faire sa connaissances ...et d'autres mots personnels. Pendant ce temps la femme chamane me caressait le dos doucement.
J'étais aussi paralysé, comme le renne. Je ne pouvais plus bouger.
Puis elle claqua des main très fort et je filais en errant, ivre et assommé...
Nous eûmes ensuite un long entretient sur la "philosophie" saame, sur quelques rituels, puis elle massa ma tête un long moment.
Son mari me dit que comme elle est grand-mère, elle peut accueillir tout homme ou femme comme l'un de ses enfants.
...
...
...
Le soir, je rentrai au camp sans savoir comment j'avais retrouvé la route dans ces pistes folles : heureusement que les
Gogos étaient là pour me faire atterrir, je les voyais à peine.
Je passai la nuit à ressentir ces instants et, durant ces heures de clarté nocturne, se sont déroulées bien des images que j'avais du mal à reconnaître comme réelles ou non, notamment celle d'un ours qui est venu boire au torrent au petit matin.
Je n'avais pas peur. Il me regarda comme si j'étais un arbre ou un cailloux, puis s'en alla en silence.