Un mois avant en effet, lorsqu'on débarque dans cette ville du Nord, du vrai Nord, on ressent déjà une sorte d'atmosphère paisible par rapport au reste de l'Europe.
On se gêne rarement les uns les autres à Helsinki : parfois même on se sent un peu seul et on se demande où sont les gens et ça c’est étonnant. Mais avec sa faible densité d’habitants au km2 (17 habitants au km2 dans le pays), Helsinki offre une surface par habitant qui peut faire rêver certains : 2700 habitants au km2 en ville (versus 20000 h/km2 à Paris, 13000 Moscou, 4000 à Londres) ; ce n’est pas pour vous bombarder de chiffres mais cela vous donne une petite idée. La nature, elle, est partout, même si vous habitez la ville. Les forêts de bouleaux et de sapins, des milliers de lacs et d’îles, et le bord de mer sont autant de lieux de balades et découvertes incroyables qui offrent de multiples facettes en fonction des saisons et de la lumière. A proximité, en un saut de puce, vous êtes à Tallin, Stockholm, St Petersbourg, Riga, La Carélie… sans oublier au Nord la Laponie, pays du Père Noël qui se situe à une nuit de train sur le cercle Polaire.
Un rêve, une vrai ambiance, à l'image par exemple de la capitale de l'Islande.
L'arrivée au port d'embarquement n'est pas compliquée par le trafic, le manque de signalisation ni les difficultés diverses : elle l'est parce que c'est tellement pénard qu'on croit ne jamais y arriver.
Helsinki a un port simplement gi-gan-tesque. Entre les points d'embarquement, le fret, les camions et tout, on s'y perd. Mais ce qui est très agréable, c'est que lorsqu'on s'engage dans un lieu qui n'est pas le nôtre, même après avoir passé des barrières et des feux, on peut faire demi-tour sans problème : le finlandais n'est pas anxieux, suspicieux ni paperassier.
He bien arrivant en ce lieu que je trouvais vraiment tranquille à l'aller, je retombais un peu sur terre en essayant de m'adapter à cette civilisation pourtant douce et aimable : je crois que si j'étais arrivé à Paris je serais devenu fou.
Pas du tout la même impression à l'aller qu'au retour, différence que je m'expliquais par cette période de vie quasi totalement sauvage.
Et pourtant je ne craignais pas le retour en Europe.
Matériel ultra moderne...en fait ce qui fait peur n'est pas le niveau de technologie, mais la manière dont les hommes s'en servent.
Là le véhicule roule doudou, pas de brutalité. Dans d'autres ports le même véhicule blindera comme un dingue et, s'additionnant aux autres qui font pareil, on aura vite la trouille ou l'angoisse propre à la mécanique économique de nos pays dominés par la "compétitivité"...
On attend plus facilement parce que personne ne s'énerve.
Les camions commandent avec le fret, et c'est normal. Comme beaucoup ils viennent de loin, ils sont attendus pour l'ordre de passage de l'embarquement.
Le franchouillard gueulerai vite - c'est MON tour ! ...mais lorsqu'on voit la tête de conducteurs de poids lourds qui viennent de se taper des centaines de bornes, les traits tirés,...on les laisse passer sans hésiter et puis, pourquoi se dépêcher ?
La philosophie de vie finlandaise avait laissé son empreinte en moins, et cette empreinte est restée car elle est devenue une sorte de philosophie du comportement.
Je ne cours plus au claquage de doigt d'où qu'il vienne et les organes qui composent mon organisme ne sont plus soumis à la loi du rythme de la rentabilité.
Peu de monde et pourtant le ferry sera plein...tout se passe en mode ours qui a bouffé son pot de miel.
La rampe est raisonnable : la logistique de la Finnline, ici, ayant vu l'attelage, m'a choisi une rampe douce pour que je sois pénard : l'homme et son système d'abord - au lieu de me considérer nazistement comme une moto qui doit se taper une rampe de 25%.
De l'amabilité jusqu'au bout.
Bon, ça fait que je serai coincé entre des tracteurs et des camions et cela amuse les conducteurs.
Le personnel me dit que ce n'est pas la peine de sangler...chouette, la traversée sera donc pénarde. Je ne passe même pas la première et je cale la roue arrière avec des cales disponibles - hein Gogo...

Pas un chat...aller, une dizaine de personnes par ci par là. Tout le monde a été embarqué d'une manière étalée.
Cabine trouvée en 3 minutes puis bar, bien sûr, avec le traditionnel whisky double. Fenêtre...
Je ne sens même pas le bateau décoller du quai et je regarde la terre s'éloigner peu à peu, aussi paisiblement qu'est ce merveilleux pays, comme un renne qui vit sans qu'il ne soit découvert.
L'heure de dîner arrive très rapidement : même sensation du temps qui passe plus vite, comme si mon cerveau s'était habitué à vivre plus doucement au cœur de la vie sauvage.
La Finnline fait les choses admirablement bien : les mets sons succulents, abondants et variés. Comme à l'aller j'ai pris le pack de tous les repas à 75€ vin compris pour le soir (3 repas en tout plus de petit déj qui est au top). Le personnel est finlandais, bienveillant, l'ambiance ne se coupe pas. On dirait que le pays prend soin de ses hôtes jusqu'au bout, se sentant responsable de leur paix jusqu' leur dépôt devant le débarquement.
Même la télé est amusante.
J'étais heureux, serein, j'allais revoir les miens et, sans aucune nouvelle de la merdité ambiante française, je me sentais moins stressé.
Je ne me rendais pas encore compte que le débarquement en Allemagne allait me réveiller désagréablement et me contraindre à des comportements que je ne souhaite plus.
Vivre longtemps en milieu non urbanisé fut pour moi une découverte.
Tout commence à chaque instant.
En milieu urbanisé une perpétuelle distance s'installe entre soi et la vie. L'espace se mesure en mètre, alors qu'en vie sauvage l'espace se mesure en non programme, sans laisser de traces, car un phénomène de fusion s'est insensiblement opéré sans plan ni structure.
Au début de la vie non urbanisée, on est speed. On apporte ses soucis "civilisés" avec soi. On est encore en ville en fait. On pue la ville, on pue le parfum et tout. Puis après déjà deux jours, les yeux commencent à mieux voir, les oreilles commencent à mieux entendre. On a déjà le pied plus sûr, on se prend moins de branches dans la gueule, nos déplacements deviennent fluides, même dans les terrains merdiques ou touffus... et on se sent plus calme.
Après 4-5 jours, voire une semaine, il commence à se passer un truc encore plus étrange. On réagit moins fort aux piqûres de moustiques, on voit mieux la nuit, on entend mieux, on sent mieux, on goûte mieux... et notre corps se transforme aussi. On marche plus souplement... on bouge mieux, les petites douleurs disparaissent...
Après deux semaines environs, on commence à être vraiment "dans le brut". On s'est réadapté à la nature... et là, si un mec de la ville débarque dans notre petite vie sauvage, on est frappés de le voir si maladroit, à se prendre les pieds tout le temps, à puer le parfum, à sortir la frontale alors qu'il fait encore clair (et à nous la foutre dans les yeux tout le temps put**n ca fait mal !)... il parle trop fort, trop vite, il gueule en fait. Et quand il marche on dirait un troupeau de bisons... tout résonne, tout roule sous lui... il fait tout vite, mais ça lui prend deux fois plus de temps quand-même au final...
Et après plus de deux semaines comme ça, y'a encore un truc plus étrange qui se passe... c'est vraiment de l'ordre du ressenti, mais c'est vraiment spécial : on a l'impression que les frontières de notre "moi" deviennent un peu poreuses, et qu'on "fait partie" de la nature. Quand je dis fait partie, c'est pas une figure de style... c'est vraiment comme si on était un arbre, un caillou ou un chevreuil, ou n'importe. On ne se sent plus comme un être humain séparé du reste. On se sent juste un petit morceau du grand truc...
(non, il est inutile de fumer quoi que ce soit de spécial, ni de faire des incantations ni rien et encore moins de croire en quelque chose)...
Et quand on commence à se sentir comme ça, et qu'on revient ensuite en ville, les gens nous disent souvent qu'on "dégage quelque chose de spécial"...
C'est le pays natal, la source. Tu redeviens enfant.
La Finlande m'a donné cet immense présent et je lui en suis reconnaissant.
Elle m'a donné ma vraie carte d'identité comme citoyen de la nature. C'est bizarre, elle n'a pas de numéro, cette carte, mais elle possède un pass.
Finlande, terre du Tout, je t'aime.