Le toit des authentiques "hyttes" (huttes) est en terre qui recouvre les planches parce que les locaux étaient trés pauvres et employaient ce qu'ils avaient sous la main. Mais pas bêtes...ils recouvraient d'abord les planches du toit d'écorce de bouleau, côté extérieur vers le ciel - cette écorce est étanche à l'eau - puis ils mettaient des plaques de prairie dessus, qui tenaient avec les racines.
Immense avantage, surprenant : on n'entend absolument pas la pluie qui tombe et c'est d'un silence doublé d'une isolation redoutables. Les températures peuvent chutter de 20 degrés en une nuit puis remonter, on ne le sent pas dans la hytte.
L'hiver en Norvège est terrible. Des températures de moins 30, voire moins 40 ne sont pas rares, avec un minimum de 1,5 m de neige, avec des pointes à 3 m...et cela dès que l'on monte à peine et qu'on s'éloigne de 1 km des fjords.
Sur les bords des fjords, la température est plus clémente ( - 20 quand même) et il y a moins de neige - "seulement" 0,70m -, c'est pourquoi presque l'entièreté de la population est agglutinée autour des fjords et dans les villes.
Mais, bien entendu, l'authentique Norvège est celle des zones qui commencent à 1 km des fjords.
Cela monte trés rapidement : dès que vous sortez de la route pour aller dans un bled en montagne, lorsqu'on voit les photos, on se rend bien compte que les côtes à 7/12% sont trés communes.
Je m'installe donc au bord du fjord dans ma hytte et m'en vais casser la croûte tout près de l'eau, avec la canne à lancer. Je fais chauffer mon lyophilisé (du rizotto délicieux) et, le temps que je monte la canne, p'tin les mouettes me tirent mon rizotto : une dizaine à se foutre une plumée d'enfer.
Le temps d'arriver à la casserole, qui était à 25 m du bord de l'eau, plus de rizotto !
J'ai fait la gueule. Les s.......
Bon, je me calme et sors un autre rizotto que je ne lâche pas, mais les mouettes étaient insistantes, voire dangereuses : elles te frôle à 50 cm ! Un bon bâton et tout est rentré dans l'ordre.
J'avais l'air con. Au bord d'un fjord, seul, à gesticuler pour chasser les piafs...
Mais la pureté de l'eau du fjord me calmait. L'eau est d'une profondeur et d'une limpidité d'Eden...
La canne est prête, l'homme est nourri, le temps se couvre mais il ne pleut pas, ambiance préférée des moustocs. Petits mais vivaces. Un vieux m'avait donné une technique : se recouvrir le visage avec de l'extrait de maquereau broyé. Tu pues mais c'est efficace, ils se cassent car les maquereaux goulent les moustocs à la surface de l'eau, et comme j'étais seul, rien à f.... de chlinguer le poisson.
Rencontre avec un pêcheur. On baragouine comme on peut avec des dessins et des gestes. Je réapprends à manier le lancer...plus de 45 piges que je n'y avais pas touché.
Après quelques emmêlements de fil et deux ou trois jurons, ça r'vient...
Il était presque 22h.
Hop, un autre coup...suivit de plein d'autres...
...et à chaque fois je ramène pénard :
Une heure, deux heures...rien. Pareil le lendemain, jusqu'au moment où le pêcheur me dit, l'air amusé - du moins dans ce que je comprends - : " te fatigue pas, les rorquals ont tout mangé..."
En fait, il m'explique que la technique des rorquals est simple. Ils se pointent à 15 à l'entrée d'un fjord, font le bordel et poussent les poissons au fond du fjord (juste 200 bornes, une paille pour eux mais ça fatigue les petits poissons). Lorsqu'ils sont coincés au fond du fjord, les rorquales les goulent tous pendant huit jours. Le festin quoi, les Troisgros locaux, le banquet qui dure une semaine, gratos.
Bon, je note mais quand même, le surlendemain, je retourne avec ma canne et je recommence.
Et là, une autre grande claque.
Il était 21h et, sans conviction, je "mouille" l'hameçon appâté au maquereau frais.
C'est là que, dans le silence du soir, j'entends un souffle d'enfer suivit de quelque chose de gros qui fait "plouf", mais THE plouf.
Tient, qu'est-ce que c'est...
15 secondes plus tard, même sénario mais cette fois, je vois un jet d'eau qui sort du niveau et une sorte de bosse.
M.... me dis-je, est-ce possible, qu'est-ce que c'est... je croyais que c'étaient des dauphins ou autre, mais lorsque j'ai montré la photo que j'ai réussi à prendre - la seule - il me dit que c'était les rorquals qui rentraient en mer, pénards, rassasiés.
Ils étaient plusieurs et allaient se retaper 200 bornes dans l'autre sens. Le vieux avait raison, les rorquals avaient tout bouffé et c'était pas la peine de mouiller la ligne pendant une semaine.
Nom de Zeus, ici t'as intérêt à faire gaffe : si t'es pas combattif, ce sont les autres bestioles qui te bouffent le casse-croûte (mouettes et rorquals) !
Mais ce que j'ai vécu là était de la magesté pure. je n'avais rien vu
ni entendu de pareil de ma vie.
Tu as l'impression d'un Caterpilard des mers, un monstre gentil, un être d'eau de la quatrième dimension d'une puissance inimaginable genre V12 ou gromono de 25 litres.
L'animal sacré chemine comme une pendule trés cyclique, en "vitesse de croisère", trés tranquille mais avec une force qu'on n'arrive pas à mesurer, tu vois le genre d'endurance incalable doublé d'un aura d'autorité des mers comme si rien d'autre n'existe.
Un autre monde, celui des profondeurs abyssales et de ses mammifères qui nous voit de trés trés haut.
Le pêcheur m'a expliqué que j'avais une chance inouïe et que, selon la légende, ces seigneurs des mers avaient jeté un bonjour affectueux au petit homme qui était entrain de pêcher tout seul au bord de l'eau.
Merci Rois des eaux...je t'admire et ce que tu m'as donné ne pourra s'effacer qu'à ma mort.
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