Pourquoi y a-t-il des achats massifs de papier toilette? Trois raisons principales
Covid-19
Lu dans Mediapart (paywall:
https://www.mediapart.fr/journal/france ... nglet=full ) , long article très intéressant par Romaric Godin, je donne ici les trois raisons principales citées dans l'article:
Comme l’a souligné un article de l’économiste Alfredo Paloyo dans The Conversation, le phénomène d’achats de panique de papier toilette n’est pas sans lien avec ce que l’on observe en cas de panique bancaire. Et cette situation n’est pas aussi irrationnelle qu’on le croit. Imaginons une personne qui entre dans un supermarché pour acheter, disons, un litre d’huile d’olive dont il a réellement besoin. Dans les rayons, il constate des achats massifs de papier toilette, un bien dont il n’a pas objectivement besoin sur le moment. Il sait cependant qu’il en aura nécessairement besoin à un moment ou à un autre. Il doit donc faire un choix, le même que celui qui voit, en situation de crise bancaire, une queue de déposants devant sa banque. Soit il hausse les épaules et compte sur les institutions politiques et économiques pour assurer la satisfaction de ses besoins futurs. Soit, devant l’évidence des rayons vides, il doute de cette capacité. Dans ce cas, il prend le risque de se retrouver dépourvu dans le futur s'il n'achète pas maintenant.
Ce phénomène a été mis en lumière par l’économiste John Nash, prix de sciences économiques de la Banque de Suède (appelé à tort « prix Nobel d’économie ») de 1994, et l’un des principaux penseurs de la « théorie des jeux » sous l’expression de « jeux non coopératifs ». Chaque participant à ce type de jeux prévoit le comportement des autres et adapte son propre comportement pour minimiser ses pertes. Cela conduit à un « équilibre de Nash » qui est souvent insatisfaisant. Une fois les stocks vidés et les capacités de production épuisées, ceux qui ont décidé de prendre le risque de faire confiance aux institutions sont Gros-Jean comme devant ; les autres, ceux qui ont joué la non-coopération, se retrouvent bien pourvus.
La crainte de manquer de papier toilette apparaît, au reste, comme une des grandes peurs de la modernité. Il existe un précédent, en décembre 1973, aux États-Unis. Le contexte n’est pas entièrement différent de celui d’aujourd’hui. L’économie étasunienne est soumise à des pénuries massives en raison du choc pétrolier qui a suivi la décision de l’Opep à la mi-octobre d’utiliser l’arme du pétrole dans la guerre israélo-arabe. Le manque d’essence génère des goulots d’étranglement. Dans ce contexte très incertain, Harold Froehlich, représentant du Wisconsin, une des principales zones productrices de papier du pays, publie le 11 décembre un communiqué affirmant que « les États-Unis pourraient manquer sérieusement de papier toilette dans quelques mois » : « Nous espérons que nous ne devrons pas rationner le papier toilette. » La probabilité devient rapidement affirmation et les Étasuniens se jettent sur les rayons de papier toilette, au point que le réapprovisionnement devient difficile. Un marché noir se met en place. Il faudra quatre mois pour assurer le retour à la normale. Le Venezuela a aussi récemment connu une panique de ce type.
Tout se passe comme si ce bien était une forme de garantie de modernité à laquelle une partie de la population se rattache lorsque se dessine une forme d’incertitude radicale et de menace sur les modes de vie. Ce n’est pas entièrement irrationnel, là aussi. L’accès aux toilettes est un élément déterminant de l’amélioration de l’hygiène et du niveau de vie réel. Dans certains pays comme l’Inde, c’est un enjeu politique majeur. Le passage aux toilettes personnelles et généralisée est l’incarnation du passage au confort de la vie moderne. S'il vient à manquer cet accès, le sentiment d'un retour en arrière est inévitable. Or, c'est bien ce retour en arrière qui semble en jeu avec un coronavirus qui ramène des images de quarantaine, de peste noire et de grippe espagnole. Dès lors, le papier toilette, lui-même inventé en 1902, apparaît alors comme une forme d’assurance que l’on continuera à avoir accès à ce qui est perçu comme un bien fondamental. C’est peut-être pourquoi les rouleaux de papier toilette sont davantage soumis aux achats de panique que d’autres produits d’hygiène plus directement utiles à la lutte contre le coronavirus, comme le savon ou les désinfectants de surface.