J 27 : La ville semble belle mais nous n'avons pas le temps de la visiter. Je me consolerai en regardant les photos de Dom et Simone et en lisant leur compte rendu. C'est tout de même extraordinaire de se dire que nous sommes tous passés par là, à un moment de nos voyages et j'aime l'idée que lors d'une prochaine rencontre nous pourrons évoquer ensemble nos souvenirs et comme un puzzle dont chacun de nous posséderait des pièces, reconstruire ensemble une image plus proche de la vérité car elle sera multiple.
Nous franchissons les portes du site un peu avant 10h00 du matin, le temps de poser l'attelage et nous rejoignons l'accueil. En anglais je demande l'heure de la prochaine visite « 10h30 » et traduit pour Alain. S'adressant alors à nous en français, la demoiselle nous signale qu'une visite en français est en train de démarrer ; Un coup de talkie et nous voilà partis au pas de course pour rejoindre un groupe de 11 personnes venus du Sud-Ouest de la France. Nous apprendrons par la suite que 4 générations se sont données rendez-vous là, les grands parents, leurs 2 fils avec leurs femmes et leurs petits enfants... l'un des fils a épousé une suédoise et c'est elle qui a organisé et réservé depuis plus de 3 mois cette visite là pour faire découvrir à sa belle-famille son pays d'origine,... nous réalisons notre chance car en fait les visites en français sont rares et doivent être planifiées longtemps à l'avance, car très peu de guides parlent le français. Nous ferons la voiture balai pendant toute la visite derrière le papy qui traîne la patte mais qui tiendra jusqu'au bout encouragé par tout le groupe ...
J'ai une tendresse particulière pour les mines qui date des années 80, période où je vivais et travaillais dans le Nord de l'Angleterre. Même si cela commence à se perdre dans les brumes du passé, plus de 30 ans se sont écoulés... le temps n'a pas effacé l'émotion incroyable qui m'étreint à chaque fois que je repense à cette époque et au combat farouche des mineurs qui tentaient de sauver leur monde, leurs traditions et leur mode de vie face à la Dame de fer. Ne me parlez pas de Margaret Thatcher, j'ai vu ce qu'elle et sa politique ont fait à ces gens, comment elle les a broyés et les a dépossédés de leur identité. Nombreux sont ceux qui après la fermeture des mines n'ont jamais plus retrouvé de travail et ont perdus leur âme. Les films de Ken Loach sont autant de témoignages sur cette perte de soi... Je les entends encore scander « cole, not dole, cole not dole »... du charbon, pas du chômage devant les magasins dans les rues de Manchester et Liverpool. .Mais que pouvions nous faire ? Se tenir à leurs côtés solidaires dans le froid glacial et humide de l'hiver 1981, c'était bien dérisoire …
Je ne suis pas la seule à ne pas avoir oublié, les funérailles houleuses de Margaret Thatcher ont bien montré au monde à quel point le pays était encore divisé sur ses choix politiques. Depuis le 19 ème siècle entre le Nord et le Sud, les relations étaient tumultueuses (Elisabeth Gaskell le décrit magnifiquement dans North and South) mais en 1981 en sacrifiant le Nord sur l'hôtel de la libre entreprise, Mrs. Thatcher a irrémédiablement cassé une unité à laquelle les Anglais voulaient encore croire.
Des années plus tard, la visite de Big Pit au pays de Galles, mine reconvertie en musée où les guides étaient tous d'anciens mineurs m'avait émue aux larmes, entendre ces hommes parler de leur monde perdu, cela vous déchirait le cœur...
Mais si Falun, trésor de la Suède a réveillé en moi l'écho triste d'anciens combats perdus, c'est tout à fait autre chose et la visite est très tonique, on a l'impression de se promener au milieu des décors d'Indiana Jones. Des escaliers gigantesques descendent au centre de la terre et donnent à apercevoir des galeries qui courent sous la montagne et des grottes vastes comme des cathédrales. On sent bien le respect que les Suédois éprouvent pour celle qui leur a donné tant de richesses et maintenant presque au repos, continue de les enrichir.
Notre jeune guide contait à merveille des anecdotes sur la mine, comment il y a plus de 300 ans un paysan avait suivi un de ses boucs qui rentrait toujours les cornes couvertes d'une poussière rouge. C'est ainsi qu'intrigué, il avait découvert l'entrée d'une grotte et par la même, la mine, véritable manne qui jusqu'à il n'y a pas si longtemps a offert aux hommes les fruits de ses entrailles (or, argent, cuivre, fer, et j'en oublies...) le bouc est d'ailleurs en bonne place dans le musée, après tout c'est grâce à lui que tout a commencé et on peut également voir à l'entrée de Falun une gigantesque sculpture le représentant.
C'est dans une galerie à moitié effondrée que notre guide nous a raconté l'histoire de l'homme de la mine. Dans les années 1800, un jeune homme qui devait bientôt se marier disparut à quelques jours de ses noces. Sa fiancée éplorée passa sa vie à l'attendre mais il ne revint jamais. Alors qu'elle était âgée de 70 ans, elle entendit parler d'un mineur trouvé mort dans la mine. Deux compères étaient descendus de nuit dans la mine et avaient bien failli être pris dans l'effondrement mineur d'une galerie... qui avait livré un cadavre ; l'homme semblait jeune et en bonne condition physique et il ne rappelait aux 2 hommes aucun de leurs camarades. Tout le village vint défiler devant le mort pour tenter de l'identifier et notre petite vieille fit de même mais lorsqu'elle le vit elle le reconnut instantanément « c'est mon fiancé ! « S’exclama-t ’elle » il ne m'avait donc point abandonnée ! » Parfaitement momifié, c'est un homme de 25 ans qui se tenait devant elle...il avait emporté avec lui son secret. Qu'était- il allé faire seul dans la mine, la nuit ? Espérait- il remonter quelques grammes d'or à offrir à sa promise ? Nul ne le sait... Après avoir passé 45 ans dans le ventre de la mine, il fut exposé dans une chasse de verre, véritable Beau au bois dormant pendant le siècle qui suivit et attira beaucoup de monde. Ce n'est que dans les années 60 qu'il fut enfin inhumé, non par charité chrétienne mais parce que son état commençait à se dégrader sérieusement... ainsi va la vie des hommes,
Est-ce ainsi que les hommes vivent,
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus. (Aragon)
Un petit tour dans le musée aérien pour voir que le minerai de fer faisait autant de dégâts sur la santé des hommes que le charbon et nous repartons. Je suis terriblement tentée de rapporter de la peinture, le fameux rouge de Falun, mais Alain n'est pas d'accord, dommage! j'aurais bien donné une petite touche nordique à notre chalet, comme un clin d’œil rapporté de nos voyages. J'ai lu depuis que Dominique et Simone l'ont fait et j'ai hâte de voir chez eux la note nordique.
Nous avons retrouvé la civilisation et la voie rapide que nous empruntons ne m'incite guère à mitrailler tous azimuts comme c'est le cas habituellement...
A l'approche de Stockholm, nous branchons le GPS du téléphone d'Alain pour essayer de gagner directement le camping que nous avons choisi pour nos deux dernières nuits avant d'embarquer en évitant soigneusement de passer par la capitale avec notre attelage. Mais par un de ces mystères Gpéesques, peine perdue, nous atterrissons en plein centre-ville avec l'Ural et la Puckette. Et Stockholm en fin d'après-midi, c'est quelque chose ! Après des semaines à rouler tranquilles et presque seuls, le contraste est ahurissant. Alain finit par se faire une raison et nous remontons pratiquement toutes les artères principales au milieu des embouteillages jusqu'à ce qu'enfin nous puissions nous échapper. Moi, je suis ravie, j'ai eu mon city-tour, le nez au vent confortablement installée dans mon panier.
Le camping choisi est à l'ouest de Stockholm pour nous assurer un départ rapide le surlendemain matin. Dans une grande forêt, près d'un lac, le camp n'accueille en fait pas de touristes mais seulement des Suédois qui travaillent à Stockholm et …. vivent dans des caravanes faute de pouvoir se payer un appartement en ville. Le spectre de la misère urbaine nous a rattrapé, juste avant que nous ne quittions le pays, écornant un peu l'image idyllique que nous nous étions faite de la vie en Suède. Certaines caravanes sont très pimpantes avec de petites terrasses en bois bordées de potées de fleurs (c'est à côté d'elles que nous a installée la gérante) mais d'autres sentent vraiment l'indigence... dans la lumière violette de cette fin d'été et l'air qui fraîchit chaque nuit un peu plus, car nous avons hélas, définitivement quitté le pays du soleil de minuit, nous les imaginons affronter l'hiver et sa longue nuit dans cette clairière entourée de grands pins ... lugubre...
