J17 ; où nous découvrons émerveillés une route mythique la E69
A notre réveil, le ciel est bleu lapis-lazuli, la matinée s'annonce radieuse. A glorious day comme disent les Anglais. The perfect day pour découvrir et couvrir la route qui nous conduira au Cap Nord. De bout en bout cette étape a été extraordinaire. Un peu défoncée au départ de Karasjok, la route monte sur des plateaux et semble prendre son élan, comme un tremplin vers le ciel. La végétation raréfiée (nous sommes à une latitude telle entre le 69 ème et le 70 ème parallèle) que les vigoureux épicéas qui nous ont accompagnés jusque-là, ont lâché prise et n'occupent plus le terrain. Seuls des bouleaux de montagne trapus et tourmentés ont résisté et nous indique que les conditions climatiques exigent une endurance hors du commun. Ces lointains cousins des longilignes bouleaux du Sud de la Finlande ne nous empêchent pas de profiter des paysages et c'est tant mieux.
Les montagnes couvertes de lichens jaunes, rouges, verts grisés, les lacs, sombres miroirs tranquilles et le ciel immense s'offrent à nos yeux, avides d'espace. Une traversée rapide de Lakselv, ville arctique sans charme et nous débouchons sur une gigantesque masse d'eau, le fjord de Porsangen. L'eau est bleue, le ciel est bleu, les montagnes sont bleues, la lumière devient bleue et il règne une douceur dans l'air qui donne à rêver que cette après-midi n'ait jamais de fin. Sur le sable, des rennes galopent, libres comme le vent.
Un arrêt à Snorfjord pour faire notre shopping arctique et nous enchaînons sur la E 69.Si l'Américaine 66 est mythique, la Norvégienne 69 mérite de l'être aussi. Tout n'est que beauté sur cette route. Les petits villages disséminés aux maisons colorées, les criques abritées qui accueillent les bateaux de pêcheurs, le ruban gris de la route qui se déroule sur des plateaux, s'enroule autour des anses du fjord, grimpe en flèche vers le ciel, ourle des falaises friables, se tend sur une corniche surplombant la mer et nous offre une vue plongeante sur l'infini de l'océan glacial arctique.
Oui, c'est de toute beauté. La température a sensiblement baissée, l'air devient cristallin et nous respirons à plein poumons l'odeur fraîche et salée de l'océan. Nous avons atteint un paradis glacé au bout du monde et je comprends mieux que des gens choisissent d'y vivre. L'impression de liberté qui émane de ces lieux est indescriptible.
On voudrait que la route ne s'arrête jamais jusqu'à 2 tunnels glacials qui plongent sous l'océan. C'est l'ultime épreuve d'un parcours de 3946 kms.
Nous plongeons dans le froid et dans la nuit emportés par l'Ural qui piaffe d'impatience. La descente de plus de 200 mètres au-dessous du niveau de la mer met mes oreilles à rude épreuve. Je ne me suis pas suffisamment préparée. Je rabats ma visière et tourne mon visage vers le bloc moteur pour que le fracas des pistons et le hurlement de bête sauvage de l'Ural lancée à toute vitesse ricoche et glisse sur mon casque sans atteindre trop douloureusement mes oreilles. C'est que les 200 mètres de dénivelée que nous avons dévalé vont devoir être remontés. L'Ural se cabre au changement de rapport, s’essouffle, peine et finit par sortir triomphante de ce boyau noir comme l'enfer.
A peine le temps de récupérer et un autre tunnel nous avale et nous jaillissons enfin comme du ventre de la baleine dans la lumière et nous nous retrouvons à Honningsväg, la ville la plus au nord de l'Europe. Inexplicablement, je suis sous le charme. Les énormes fûts de la raffinerie de pétrole n'entament pas mon enthousiasme, je suis tombée en amour de ces maisons un peu décrépies, rouges, vertes, bleues , jaunes, blanches et du port dans lequel mouillent de grands bateaux rouges et blancs et d' énormes paquebots de croisière qui déversent sur les quais pour quelques heures, leur cargaison de passagers en route vers le Cap Nord. « Là où le monde s'arrête, notre vie commence » proclame l'affiche d'un spectacle de café-théâtre et je le crois...
Nous montons jusqu'à un petit parking pour passer la nuit à pied d’œuvre. Demain à la première heure, nous partirons, nous marcherons jusqu'au Cap Knivskjelodden à 71°11'8'' le véritable point le plus septentrional d'Europe. Demain, nous y serons.
