Nous nous rapprochions donc du premier croisement de ce caducée fraternel durant ce voyage, qui allait se dérouler derrière la frontière russe à Apatity. Je les savais là-bas en paix et tout en tempête intérieure en même temps. Il fallait que le temps fasse son oeuvre au creux de ce creuset spirituel redoutable.
De mon côté je les accompagnais intérieurement aux alentours du chalet. Je priais aussi pour ceux qui étaient restés en Auvergne.
Ernest - c'est ainsi que je le nommais - venait me rendre visite de plus en plus souvent. Il était tranquille, on dirait qu'il cherchait lui aussi une sorte de compagnie "sans contact"...Nous étions bien ensemble sans dépendre de nous.
J'étais dans ma sorte d'ermitage et je pensais au Père Séraphin que j'ai connu et dont je me sentais très près, les sachant avec lui...
On souhaite toujours le meilleur pour ses amis.
L'insouciance de l'enfance, c'est quand la logique et la raison se taisent. C'est pourquoi, vieillissant, je fuis de plus en plus ces deux prisons qui ne m'ont apporté que des malheur, jamais du bonheur - ou alors plus jeune le leurre de "savoir" quelque chose, nourriture détestable de l'ego.
C'est de surcroit le seul temps où l'on apprend à observer, et tant que l'on observe on apprend, alors que tant que l'on est certain, on reste amidonné dans sa connerie, on n'observe plus, on assujetti les choses à soi.
Sur cette route se trouve une des réserves d'ours dans laquelle je me rendais souvent. On pouvait les voir en se réfugiant dans des petits abris conçus spécialement et, sans bruit avec beaucoup de patience, par surprise, ils passaient furtivement. Pardon pour le flou de la photo mais je fus tellement surpris ! Et la pluie, il pleuvait...
Le bar distillait des musiques sans trop de bruit et un peu de tout.
Soudain il passa le vintage de mon adolescence...dans l'enfilade, sans publicité...
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q= ... ZHaoTEtYkA
J'étais fou...complètement perdu au milieu de ces merveilleux paysages, voici que le "destin" me passa le film de mon adolescence en live !
...puis le dernier morceau me flingua à bout portant...Chacune de ces mélodies projetait sur un immense écran intérieur des images que je croyais oubliées pour toujours, et ce dernier fut le plus terrible.
A Epinay-sur-Seine la vie n'était pas si drôle. Dans le 93, au milieu des cités, nous tentions notre bonheur avec peu. Assez sauvage, je ne faisais que de la mécanique aussitôt que j'avais un instant. Les soirs, souvent les nuits, alors que mes "copains" s'amusaient en boums diverses, en dansant, en flirtant j'étais aux clés, pour souvent rouler à 2 h du matin sans casque dans les rues en Norton débridée...J'étais fou.
Un soir - une nuit, les mains pleines de cambouis, lors d'une de ces boums qui se tenait dans une salle du centre social tout près, une fille passa me voir, Michèle. Elle me regardait, me demandait pourquoi je ne venais pas. Nos regards se croisaient dans une adolescence innocente et, dans la plus fine intensité de l'un d'eux, la boum passa ce morceau à peine perceptible, durant lequel nous avons échangé un regard d'une puissance extrême. Timide je baissais les yeux, elle me dit alors "...à demain Dany" :
Je sus le lendemain que ses parents, venus la chercher, eurent un accident qui les tuèrent tous net.
Michèle...que serait devenue la vie sans cet accident ?
Et pourquoi en cet instant ce formidable "sms" venant d'outre tombe ?...
Je fondis en larme, inconsolable.
La nuit je décidais de partir pour la Russie à l'aube.
...
Mais heureusement, comme dit mon cher Gogo plus haut, je garde le plus secret pour moi...
