*Mike Horm petit extrait pour Theo67
Nome, Alaska. Octobre 2003.
Tout est gris. Glacé. Dans la rue principale, large comme les Champs-Elysées, que longent des constructions cubiques et préfabriquées, un vent neigeux pousse de rares pick-up trucks et fait chalouper les Inuits ivres. A quelques mètres, le détroit de Béring étale une mer métallique et hachée, hostile.
Une eau qui décourage la navigation et sanctionne douloureusement les participants à la « Trempette de l?ours polaire », une tradition locale. Ici, c?est le bout de la terre. Sur le continent nord-américain, on ne peut pas aller plus à l?ouest.
Dans ce pays perdu, une ville de quarante mille habitants, avec saloons, danseuses de cancan et duels au colt Frontier, a poussé il y a un siècle comme un bouton de fièvre : celle de l?or. Quelques-uns ont fait fortune. D?autres sont retournés vers le sud et vers l?est, balayés comme la poussière de leurs rêves. D?autres enfin sont toujours là, en haut d?une colline chauve, une croix de bois blanc sur le ventre.
A Nome, dont la plupart des gens ont oublié jusqu?à l?existence, il reste un peu plus de trois mille habitants. Ouvriers de chantiers, employés de forages pétroliers... et une poignée de chercheurs d?or. Tente plantée sur la plage rocailleuse, ils s?obstinent à aspirer le sable du fond de l?eau pour en arracher les derniers grammes de beach gold.
En fin d?après-midi, cette tribu presque exclusivement masculine se soude au comptoir du Breakers Bar, du Polaris ou du Trading Post. Un oeil sur une télé qui diffuse du base-ball en boucle, ces fantômes attaquent leur première tournée de Rolling Rock, la bière locale. La première d?une longue série...
De temps en temps, je les rejoins. Parce que j?ai trouvé en Jeff, Jerry et une poignée d?autres des amis chaleureux et fiables. Et aussi, avouons-le, parce que je n?ai rien d?autre à faire ici qu?à tuer le temps. Qui n?a pas eu affaire à l?administration russe ne sait pas ce que le verbe « attendre » signifie vraiment. Quelque part, dans un ministère moscovite, mon autorisation de traverser le Tchoukotka (la péninsule sibérienne qui se trouve en face de l?Alaska) attend d?être validée et transmise. De même, mon autorisation d?emporter un GPS. Celle de posséder un téléphone satellite et une arme également. Une fois ces documents en ma possession, je traverserai cette mer violente qui me barre symboliquement la route et attaquerai la dernière partie de mon périple, celle qui me conduira jusqu?au cap Nord, en Norvège, le point le plus septentrional de l?Europe.
Celui, précisément, d?où je suis parti le 4 août 2002, pour un tour complet du cercle polaire arctique, à contre-vents et à contre-courants. Il y a quatorze mois.
Je ne vis pas à Nome même mais, la plupart du temps, dans une simple cabane, à quarante kilomètres de là, en pleine toundra. Jeff, qui tient un magasin de pièces détachées et accessoires auto, me laisse habiter cet endroit qu?il utilise parfois pour des barbecues de fin de semaine, ou comme base de chasse au loup ou à l?élan. J?ai de quoi me chauffer, me nourrir, et mon téléphone satellite me permet d?appeler régulièrement Cathy. Soutenue par mon équipe, aidée de quelques relations bien placées, ma femme affronte les représentants de la paperasserie ex-soviétiques avec bravoure et constance. Je ne sais pas si elle finira ou non par les leur arracher, ces autorisations. Ce que je sais, c?est que dans la négative, je m?en passerai.
En effet, si mon aventure devait s?arrêter ici, à une année du but, tout ce que j?ai fait jusqu?à présent n?aurait servi à rien, puisque j?aurais échoué avant la fin.
J?ai failli mourir dans l?eau glacée, j?ai senti les crocs des ours polaires contre mon visage, j?ai survécu à des températures de moins soixante ; j?ai fait des détours de mille deux cents kilomètres dans la nuit totale de l?hiver arctique, j?ai eu les doigts, la figure et même les poumons gelés, j?ai lutté cinq jours et cinq nuits, dans mon bateau crevé par un tronc d?arbre, pour atteindre les côtes du Groenland, avant de battre le record mondial de la traversée de ce pays ; j?ai perdu tout mon équipement et j?ai commencé à brûler vif... et je n?en suis qu?à la moitié de mon voyage ! Cette expédition aura été l?une des plus dures, mentalement et physiquement, de ma carrière, car l?Arctique est un maître qui ne tolère aucune erreur. L?une des plus passionnantes, aussi, puisque tout ce que j?ai affronté était nouveau pour moi. Mais je peux bien avouer qu?au cours de ces quatorze mois, je n?ai trouvé le courage de surmonter certaines épreuves que parce que j?ignorais les souffrances qu?elles représenteraient.
Maintenant que je le sais, je serais incapable de recommencer. C?est dire si je suis déterminé à ne pas me laisser arrêter. Pour garder la forme, j?ouvre à coups de sécateur des chemins dans la broussaille qui s?élève à hauteur d?homme ; je cours dans la toundra en traînant derrière moi une paire de pneus de 4 × 4 ; j?escalade les montagnes environnantes, poussé par la question qui fait voyager les hommes depuis la nuit des temps : qu?est-ce qu?il y a derrière ? Mais derrière, il n?y a rien. Le « rien » absolu sur des millions de kilomètres carrés. De la toundra, des reliefs secs ou neigeux, des lacs bleu acier... et pas une route, ou presque, dans ce pays où voyageurs et fret ne se transportent qu?en avion. Je croise un moose (orignal, en français), cet équidé géant qu?on rencontre dans le Grand Nord ; un ours kodiak vient parfois renifler aux abords de ma cabane ; le silence est si profond que j?entends battre mon propre coeur.
Non loin d?ici, sur un sommet, quatre menhirs carrés dressent leurs crocs vers le ciel. Ce sont les restes d?une des citadelles abandonnées de la DEW1 Line, dont les radars et les sentinelles ont guetté pendant quarante ans le plus petit mouvement de troupes, le plus léger glissement de bottes chez l?ennemi communiste. Qui, bien entendu, faisait de même.
Russes et Américains se sont surveillés ainsi, en chiens de faïence, pendant près d?un demi-siècle. Et puis, plus rien ; comme si ces décennies de folie n?avaient été qu?un mauvais rêve. Ces dérisoires vestiges de la guerre froide ne sont plus aujourd?hui que des bornes sans objet, une Grande Muraille version américaine, les touristes en moins. De quoi réfléchir à la vanité des entreprises humaines. Les miennes ne résisteraient pas au test du bon sens le plus élémentaire. Pourtant, depuis plus de dix ans, c?est d?une manière professionnelle, organisée et réfléchie que je pratique ce que la plupart des gens considèrent comme de la folie suicidaire : descente de l?Amazone à la nage, tour du monde en suivant l?équateur... Je suis aventurier de l?extrême comme d?autres sont libraires, profs ou charcutiers. Je récuse l?étiquette de surhomme qu?on me colle parfois. Je ne veux être ? je ne suis ? qu?un type ordinaire qui fait des choses sortant de l?ordinaire. Si j?ai un atout de plus que la moyenne des individus, c?est une détermination qui ne se laisse arrêter par aucun obstacle. Ni par des températures de moins soixante, ni par la rage meurtrière des fauves de la glace, ni par le déchaînement des mers arctiques...
Encore moins par quelques fonctionnaires trop zélés.
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Interview de l?auteur
« J?ai commencé les expéditions très jeune. A huit ans, en Afrique du Sud où je suis né, j?ai pris mon vélo pour rejoindre la ferme de mon oncle, à trois cents kilomètres. Dans ma famille, on aimait le sport, et j?ai toujours voulu aller plus loin, plus vite, plus haut? Chacun développe les talents qu?il a, et le mien, c?est l?aventure.
Enfant, je ne comprenais pas pourquoi tous ces aventuriers voulaient aller dans ces contrées froides, ces déserts glacés et inhabités. Et pourquoi beaucoup de ces expéditions s?étaient perdues. Je voulais comprendre quelles erreurs ils avaient commises. Mais bien sûr ces destinations demandent beaucoup de moyens financiers? Après mon premier tour du monde, j?avais les sponsors pour le matériel, l?expérience pour préparer l?expédition. Ce qui me manquait, c?était un premier contact avec le Grand Nord. J?ai donc monté une traversée du Groenland avec deux copains, puis je me suis lancé à la conquête du pôle Nord. Ça ne s?est pas très bien passé, puisque mes doigts ont gelé que j?ai dû être rapatrié en Russie et opéré ? de légères amputations. Mais cela m?a motivé. Je ne voulais pas arrêter alors que tout allait mal. Ça a été une de mes plus grandes expériences, tout simplement parce que ça a été mon premier échec. Je ne pouvais pas y parvenir, sauf à risquer de perdre mes mains. Mais pour continuer à vivre ma vie d?aventurier, j?avais besoin de mes mains. Pendant dix jours, je me suis demandé si atteindre le pôle valait la peine que je prenne ce risque. « Qu?ai-je appris ? » « De quoi mon futur va-t-il être fait ? » Toutes ces questions me hantaient. Puis je me suis dit que j?avais fait mon apprentissage, que j?avais testé mon matériel et fait des erreurs que je ne devais pas refaire? L?Arctique est un maître très dur. Les habitants de ces régions ? les Inuits, les Tchouktches ? ne voyagent jamais pendant l?hiver.
À moins soixante, personne ne viendrait à mon secours s?il m?arrivait quelque chose? Partir en ayant déjà expérimenté de vraies difficultés, un péril vital, est donc une force. La frontière entre la vie et la mort est parfois fragile. Mais soit on est vivant, soit on est mort. Et ce sont les décisions que l?on prend qui font la différence. Quand je pars, j?ai toujours à l?esprit qu?il peut m?arriver quelque chose. Et je me prépare à cela. J?imagine tout ce qui peut se produire et j?essaye d?y préparer mon corps. C?est la nouveauté qui est dangereuse. Quand je suis tombé dans l?eau glacée, ou encore, en Sibérie, quand le vent a entraîné mon traîneau, m?a fait tomber, et que la neige a commencé à me recouvrir, alors qu?il faisait moins cinquante, il était plus facile de mourir que de rester vivant? Il me fallait quelque chose de plus que ma bonne condition physique. Une force mentale. Et j?ai encore une force supplémentaire : une famille qui m?attend à la maison. Ma femme et mes deux filles me donnent la liberté de faire ce que je fais, mais il y a une contrepartie : je dois rentrer vivant. Je le leur ai promis.
Pour moi, il y a une grande différente entre être vivant et vivre. Moi, je suis vivant. J?ai une passion et je la suis. »
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Critiques Presse
« Ce gars-là ne craint ni le chaud, ni le froid, ni la faim, ni la soif, ni la douleur, ni l?épuisement. Histoire d?un baroudeur qui a choisi d?explorer ses propres limites en parcourant le globe. » Le Nouvel Observateur, 4 août 2005.
« Mieux qu?un cap à suivre, (Mike) Horn est un héros à lire. » L?Equipe, Benoît Heimermann, 19 mars 05
« Une succession ininterrompue de frissons, d?émotions, de sensations fortes, qui vous arrachent des larmes ou des fous rires. » Gala, 9 mars 05
« Conquérant de l?impossible, est un livre saisissant que vous lirez passionné du début à la fin par le récit jamais privé d?humour de ce diable d?aventurier de la banquise jouant à survivre, dit-il, comme d?autres vont au bureau. » Télé Z, 7 mars 05.
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Avis des lecteurs (6 avis)
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christophe
28 août 2007 21:05
j?ai lu le conquerant de l?impossible mais aussi les autres livres de ce geant de l?aventure .c?est du bonheur en barre et le seul reproche que l?on peu lui faire c?est de ne pas realiser plus vite ses exploits pour nous les compter dans ses livres.ces presque romans d?aventure qui sonnent si vrai ,et pour cause, sont helas soit trop court soit trop peu nombreux.
Mike horn merite le respect que beaucoup lui temoignent ...
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colle
25 février 2007 18:52
Une superbe lecon d?humilite et d?humanite a travers ce recit incroyable. Mike Horn est un homme d?un courage inoui, explorant le monde par tout moyens non motorisé et restant humble devant le savoir de certains peuples recules des terres polaires.
Avec ce bouquin et on transporté dans cette aventure et j?avoue avoir eu du mal a le refermer.
Merci Mike Horn
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Gabriel LE COUTOUR
12 février 2007 14:48
D?abord je me suis dit : c?est du bluff, tellement ça paraissait gros, et puis ce mec paraît si modeste, sympa et de bonne humeur que tu te dis : non, ce gars ne sait pas mentir ; alors tu pars en expédition avec lui . Personnellement, je l?ai lu en plusieurs jours, ainsi j?ai eu le sentiment d?être du voyage . On en a vu du paysage, croisé des bestioles, découvert des gens ! Merci, Mike, car celui qui a ?chié au froc? c?est bien toi tout seul . C?était formidable, dans toute l?acception du terme ; j?en suis resté sur le cul . Je garde le bouquin sous le coude car je referai sans doute le voyage dans quelque temps ! Une leçon d?humanité . Gaby. La Glacerie
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Roux Anaïs
17 décembre 2006 11:37
bonjour je m?appelle anaïs j?ai 17 ans j?ai lu ce livre est je le trouve génial c?est impréssionant le mantal de mike horm mais aussi de sa femme et de ses filles qui l?on attendu si lontemps avec toutes les craintes possible ce livre ma tellement passioner que je vais l?étudier plus en profondeurs pour pouvoir passer un examein de francais alors merci a mike de mavoir donner cette inspiration qui va maider a avoir cette examein.
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nathalie de La Ferté- Bernard
28 juillet 2006 18:17
Lu d?une traite, récit parfaitement héroïque où Mike repousse ses limites à chaque instant pour braver les pires dangers et rester vivant ...
Héros invincible et réel des temps modernes, il donne l?exemple et exprime l?humain avec simplicité et émotion.
Faire comme lui...impossible mais prendre exemple sur la force de son mental, oui !!
Lecture recommandée en ce début de siècle où la glace fond de plus en plus vite !!
Merci Mike.
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Diane Gagnon.
2 juin 2006 01:35
Chapeau et bravo .
Je suis tombé par hazard sur ce livre.
Je n?avais jamais lu ni connu un homme aussi déterminé.
Je mange ce livre...
En lisant ce livre, il confirme le dicton, que l?on se crée nos propres limites...
Et que quand on veut , on peut...
Mille fois Bravos !!!